Ils vivent dans un camion frigo

«Je me réjouis comme un fou! Je me dis qu’en vingt ans, on aura le temps de faire toute l’Europe!» Des étoiles brillent dans les yeux d’André Grize quand il évoque son projet. Le Neuchâtelois de 68 ans a entièrement retapé un camion frigorifique pour en faire un espace de vie. Un projet qui lui a pris quatre ans, en marge de son travail. «J’ai tout fait tout seul, je n’avais pas les moyens d’engager quelqu’un.» En tout, le chauffeur poids lourd à la retraite aura investi pas loin de 120 000 francs dans son rêve. Un rêve qu’il partage avec Christiane Germond, ancienne secrétaire médicale de 71 ans. Les deux amoureux d’aventures se sont rencontrés il y a à peine un an. Tout de suite, l’énergique Neuchâteloise a adhéré au projet de son compagnon. «J’ai toujours aimé voyager, explique cette dernière. On n’a pas envie de passer notre retraite sur un banc ou au bistrot, à s’ennuyer. Nous sommes en forme. C’est le dernier moment pour le faire.»

«Ça a fait tilt»

C’est en apprenant que Migros vendait des semi-remorques frigorifiques d’occasion que cette idée un peu folle a germé dans l’esprit d’André Grize. «Un ami m’a dit qu’ils étaient proposés à prix convenable.» Il a ensuite changé la caisse et ajouté le châssis d’un camion accidenté de la Coop. «Ça a fait tilt dans ma tête», confie le Neuchâtelois. Et le camion a passé l’expertise du premier coup.

Au final, André et Christiane disposent d’un joli espace d’environ 40 m2 avec tout le confort moderne. Le chauffage, l’électricité, la climatisation, des toilettes, la douche (la soute permet de contenir 1000 litres d’eau) et même le lave-linge font partie de l’équipement de ce monstre de 15,5 m de long. André, qui a déjà parcouru l’équivalent de 50 fois le tour de la Terre au cours de sa carrière, a hâte de reprendre le volant. Et il ne se fait aucun souci pour son véhicule. «Il a passé 20 ans et affiche plus d’un million de kilomètres au compteur. Il est rodé et part au quart de tour. De plus, il est facile à réparer et à entretenir. Je n’ai pas peur, ce semi va tenir jusqu’à la fin de nos jours.»

Pour se préparer au grand départ, André et Christiane ont quitté leurs appartements respectifs et ont vendu la quasi-totalité de leurs possessions. «On a organisé un grand vide-greniers avec tous nos meubles, explique Christiane Germond. On a dû se séparer de beaucoup de choses, ce n’était pas facile. Notamment mes photos de famille ou alors mes livres. J’adore lire.» Même si le camion pèse 22 tonnes, il a fallu énormément limiter le poids. Le couple a également investi dans une Smart, voiture qu’ils «garent» à l’arrière du camion. «C’est plus pratique pour visiter une ville», disent-ils.

Départ en janvier

Depuis quatre mois, ils vivent à plein-temps dans leur camion, qu’ils ont installé sur un terrain mis à leur disposition. Actuellement, ils tentent de régler les dernières ornières administratives, comme l’assurance-maladie ou encore l’ouverture d’un compte en banque pour que leurs rentes y soient versées pendant qu’ils seront à l’étranger. Un vrai parcours du combattant. «Dès qu’on sort de la norme, tout est compliqué», soupire Christiane. Ils en profitent également pour mettre de l’argent de côté et trouver des mécènes prêts à les soutenir dans leur projet.

En janvier, les tourtereaux quitteront la Suisse. Peut-être pour toujours, si la santé et les finances le permettent. Même s’ils n’ont pas encore défini leur prochaine destination – ils ont une carte à portée de main et refont sans cesse de nouveaux plans – ils n’ont qu’une hâte: parcourir de nouveaux paysages et découvrir de nouvelles personnes. Appréhendent-ils de passer leurs dernières Fêtes avec leurs familles? «Non, nos proches ont accepté l’idée. Mentalement, on est déjà loin.» Déjà, ils se voient passer leurs soirées à visiter des villes inconnues ou à jouer au Scrabble et au pendu, bien au chaud dans leur camion frigorifique.

(Le Matin)